Les agents secrets de boumediene a l' Etranger
Mission impossible de rachid caza au usa e trachid tabti en France
source Eden livres
la Sécurité Militaire est employée non seulement dans le musellement de
L’opposition, mais aussi dans le renseignement à même d’éclairer
la politique de Houari Boumediène. Cela est d’autant plus
vrai qu’à peine au pouvoir, son premier but est de nationaliser
les richesses du sous-sol dont l’exploitation était assurée jusque-là
par des entreprises détenues majoritairement par des firmes
Étrangères. De ce point de vue, la question relative à la nationalisation
des hydrocarbures était devenue, dans l’esprit du chef de
l’État algérien, une « véritable obsession1 ».
En plein conflit israélo-arabe en 1967, Boumediène décide
de gérer l’après-rupture des relations diplomatiques avec les
États-Unis. Par solidarité avec les « pays frères » et pour se doter
d’une stature populaire dans le monde arabe et auprès de la rue
Algérienne, il a officiellement coupé les ponts avec Washington,
mais il sait par ailleurs que son pouvoir, s’il a beaucoup à gagner
d’une telle position, perd énormément sur le plan économique,
Puisque les États-Unis subventionnaient certains produits agricoles
de première nécessité importés par l’Algérie et accordaient
à ce pays fraîchement indépendant un certain nombre d’aides
et autres crédits notamment dans le cadre de ce qui fut appelé
à l’époque le programme « Food for peace ». Ces facilitations
avaient permis aux Algériens de recevoir entre 1962 et 1963, en
aides alimentaires, de quoi nourrir 4 millions de personnes.
Le président algérien choisit alors de faire preuve d’un
Extraordinaire cynisme qui l’incite à adopter un double
discours et à jouer ainsi sur deux tableaux. Dans la forme, la
prose présidentielle est « anti-impérialiste », sévère à l’égard de
L’hégémonie américaine qui de surcroît soutient « l’ennemi
sioniste ». Boumediène décide, en même temps, de prendre le
contrôle de plusieurs entreprises pétrolières présentes dans le sud
du pays, en les mettant sous tutelle algérienne : El Paso, Mobil,
Shell, Esso, etc.
Dans les coulisses, c’est une autre histoire. Messaoud Zeghar
alias Rachid Casa, ami personnel du président, ancien du
MALG, théoriquement démobilisé des services, est sollicité pour
entretenir une diplomatie parallèle en direction des États-Unis.
Il va renseigner Boumediène sur les réalités de la vie politique
américaine. Le chef de l’État algérien a ainsi accès à des informations
non bureaucratisées émanant d’une source indépendante
des appareils officiels. Zeghar a les moyens de mener sa mission.
S’étant lancé dans le monde des affaires florissantes, il est très
bien introduit dans le milieu très sélect qui renferme tous ceux
qui comptent à Washington : secrétaires d’État, sénateurs, agents
de la CIA, businessmen, magnats des médias, etc. Il fréquente
le gouverneur du Texas John B. Connally, le milliardaire David
Rockefeller, le futur patron de la CIA et futur président George
Bush Senior, l’astronaute Frank Borman ou le ministre de la Justice
sous Nixon, Richard Kleindienst.
De plus, l’homme pèse lourd financièrement. Sa fortune
personnelle est alors estimée à plus de 2 milliards de dollars de
l’époque. Ce n’est pas rien pour un Algérien dont le pays est
indépendant depuis à peine cinq ans. En réalité, Rachid Casa
est chargé de jouer le rôle de pivot du lobby que Boumediène
est en train de constituer afin de défendre les intérêts algériens à
Washington malgré l’absence de relations diplomatiques. Il doit
financer les déplacements officieux de certains responsables, les
Prendre en charge durant leur séjour et les mettre en relation avec
des décideurs américains. Des contrats importants sont signés
à cette époque et plusieurs sources affirment que Messaoud
Zeghar touche systématiquement de fortes commissions avec
l’accord de Boumediène, pour financer ses propres activités
et alimenter par ailleurs une « caisse secrète » dont pourrait
disposer le président pour mener à bien sa politique, surtout
celle qui vise à subventionner et à aider des mouvements dits
« révolutionnaires » aux quatre coins de la planète.
Rachid Casa aurait même participé au financement des campagnes
électorales de certains candidats, notamment ceux briguant
un siège au Congrès.
Messaoud Zeghar peut compter sur l’appui de celui qui est le
premier ambassadeur d’Algérie à Washington : Chérif Guellal1,
qui a présenté ses lettres de créances à J.F. Kennedy en juillet 1963
et dont il est devenu l’un des proches. L’ambassadeur connaît lui
aussi du beau monde aux États-Unis. Ami des politiques, des
grands noms du journalisme, de l’establishment économique et
des stars du showbiz, Guellal a ses entrées partout. Il est très lié
aux frères Kennedy et entretiendra de très bonnes relations, par
la suite, avec Lyndon B. Johnson.
Lors de la rupture des liens diplomatiques, Chérif Guellal
est évidemment contraint de laisser son poste d’ambassadeur,
mais Boumediène qui connaît ses capacités d’entrisme au sein
du sérail américain le nomme représentant, aux États-Unis, de la
société pétrolière algérienne Sonatrach1. Ce célibataire séducteur
aux allures de play-boy italien a tout pour plaire. Il vit d’ailleurs
avec Yolande Betbeze, Miss America 1951, mais surtout veuve du
patron de la maison de production hollywoodienne Twentieth
Century Fox.
le duo forme Par Zeghar et Guellal va réaliser en pleine guerre du Vietnam un
geste que les responsables de Washington ne manqueront pas
D’apprécier. En effet, à la faveur des relations entretenues par
Boumediène avec les Vietnamiens, les deux intermédiaires fourniront
à leurs amis la liste des prisonniers américains détenus au
Vietnam. Grâce à cette opération, Messaoud Zeghar obtiendra
pour l’Algérie de grandes quantités de blé subventionnées par les
États-Unis2.
Dans ce contexte et confiant quant à la réaction américaine
en cas de nationalisation, Boumediène décide d’engager des
Négociations avec les autorités françaises au sujet de l’exploitation
des hydrocarbures. Celles-ci sont tendues. De plus, un jugement
sévère a été prononcé en Algérie contre des ressortissants français
Accusés d’espionnage. D’un autre côté, Georges Pompidou ignore
que son homologue algérien s’apprête à nationaliser, et ce, même
si l’information circule sous forme de « rumeur » depuis plusieurs
mois dans les milieux bien renseignés.
Ses véritables intentions sont traitées en secret d’État.
Seuls Belaïd Abdesselam, ministre de
l’Industrie, Merbah, le patron de la SM, Sid Ahmed Ghozali1,
à la tête de la Sonatrach, et quelques-uns de ses plus proches
collaborateurs sont mis au courant. Les mieux informés
apprendront sa volonté de nationaliser les hydrocarbures
quelques semaines seulement avant l’annonce officielle.
Ces négociations à plusieurs rounds entamées dès 1965 s’éternisent.
Kasdi Merbah et son adjoint chargé du renseignement
extérieur s’emploient, de leur côté, à obtenir un maximum d’indications
sur les intentions françaises. Il leur faut évaluer la réaction
de Paris en cas de nationalisation. Pour ce faire, ils font
appel à un avocat algérien assez atypique ayant ses entrées ici et
là et notamment auprès de la gent féminine. Ce profil les intéresse
d’autant plus qu’il s’agit en réalité d’un de leurs hommes.
Son nom, Rachid Tabti, mais d’aucuns l’appellent tantôt
« Richard » tantôt « Tony ». Il est, depuis le début des années 1960,
avant l’indépendance de l’Algérie, très bien introduit en France.
Ancien boxeur, cascadeur à ses heures dans des séries ou des films
d’action2, l’avocat séduit autour de lui. En fait, cet homme aux
allures de dandy militait déjà au sein du Mouvement national au
cours des années 1950 et deviendra plus tard un élément de la
Sécurité militaire. Un lieutenant qui sera affecté, dès 1965, au
service « B2 », commandé alors par Noureddine Zerhouni alias
Yazid. Détaché auprès du ministère des Affaires étrangères en
septembre 1963, il aura pour mission de se rendre à Paris afin de
faire du renseignement, notamment sur les questions liées aux
échanges économiques. Son diplôme d’avocat et ses multiples
hobbies devant lui servir de couverture pour ouvrir un cabinet et
s’intégrer dans la haute société française. Pour passer inaperçu, il
est officiellement radié du corps de la diplomatie depuis janvier
1965. Cette « radiation » n’est cependant rendue publique qu’en
mars 1966 alors que « Tony » est déjà à Paris1 depuis plus d’un
an. Ses conquêtes féminines sont nombreuses et l’une d’entre
elles est particulièrement intéressante pour les services algériens.
Rachid Tabti, âgé alors de 36 ans2, fréquente depuis plusieurs
mois l’assistante du diplomate Jean-Pierre Brunet3, le directeur
des Affaires économiques et financières au Quai d’Orsay, mais
surtout administrateur d’Erap4, l’entreprise qui exploite, pour
le compte de la France, les gisements pétroliers et gaziers en
Algérie. Grâce à cette relation très intéressée entretenue, durant
plus de deux années, par Rachid Tabti avec Béatrice Halegua,
la secrétaire de Jean-Pierre Brunet, les courriers confidentiels
et les notes d’analyse que s’échangent les négociateurs français
finissent, quelques jours plus tard, sur les bureaux des
commandants Noureddine Zerhouni et Kasdi Merbah, pour
atterrir ensuite dans le parapheur de Houari Boumediène. Plus
de 4 000 documents secrets sont ainsi acheminés vers Alger.
Celui qui se fait appeler Tony les remet à l’un de ses collègues,
Ouali Boumaza alias Tayeb, resté en retrait et entretenant une
cellule chargée d’effectuer la navette entre les deux capitales.
C’est un hôtel situé dans le 12e arrondissement de Paris, géré
par un Algérien, Mustapha I., qui sert de « boîte aux lettres ».
C’est là que Tabti vient déposer, plusieurs fois par semaine, les
documents qu’il récupère auprès de sa belle afin que ceux-ci
soient acheminés rapidement vers Alger. Cette action est cruciale
pour la partie algérienne. Elle a pu évaluer ainsi les conséquences
d’une nationalisation en ayant régulièrement, à travers les pièces
officielles qu’elle analysait, un aperçu sur l’état d’esprit des
Autorités françaises.
Le 24 février 1971 en fin d’après-midi, Houari Boumediène
annonce que toutes les richesses du sous-sol algérien sont
Nationalisées. Il s’agit alors d’une prise de contrôle de 51 % des
sociétés pétrolières françaises qui décideront finalement de céder
la totalité de leurs parts et de quitter l’Algérie. Seul Total préférera
Poursuivre ses activités. À partir de là, Boumediène va doter
la Sonatrach de tous les moyens pour en faire une très grande
f rme. L’une des plus importantes au monde. Elle deviendra très
vite un mastodonte de la planète hydrocarbures.
En vérité, Houari Boumediène vient d’opter pour une logique
de radicalisation quant aux choix stratégiques dans le but de
garantir à son régime un maximum de stabilité. Il se démarque
ainsi du bricolage de son prédécesseur. Sa vision consiste alors à
faire accroître les ressources de l’État afin de mettre en application
une politique intérieure à même de pérenniser le système et
de donner naissance à une diplomatie qui lui permettrait de briller
sur la scène internationale en se présentant comme un interlocuteur
sérieux, valable et incontournable.
Cette réalisation – qui restera sans conteste l’oeuvre majeure
du règne de Boumediène – et, par ailleurs, l’ensemble de sa
stratégie seront vécus comme un coup de tonnerre dans les
milieux politiques et diplomatiques français. L’Élysée décide de
boycotter les hydrocarbures et les vins de son ancienne colonie.
Pendant ce temps, les autorités algériennes choisissent, quant à
elles, de dégager la monnaie locale, le dinar algérien, de la zone
du franc français. De plus, la diplomatie parallèle, engagée par
Boumediène, a porté ses fruits. Un mois après la nationalisation
des hydrocarbures et alors que les relations algéro-françaises
sont au plus bas, le président Nixon rend publique une lettre
personnelle adressée au chef de l’État algérien, dans laquelle,
le locataire de la Maison Blanche annonce que les États-Unis
sont prêts à « établir des relations diplomatiques normales avec
l’Algérie quand elle le désirera ».
Si les négociateurs sont surpris d’une telle décision, les enquêteurs
de la DST, Direction de la surveillance du territoire (le
contre-espionnage français) ne le sont, eux, qu’à moitié. Ils surveillent
depuis un moment Rachid Tabti et sa relation avec la
secrétaire de Jean-Pierre Brunet. Cette dernière ainsi que les
deux espions algériens seront arrêtés. Tabti est interpellé chez
lui durant l’année 1970, quelques mois avant la nationalisation.
Il a été filé et mis sur écoute durant de longues semaines. Mais
lorsque les services français découvrent son véritable rôle, les dés
sont déjà joués. Tabti et Ouali seront alors condamnés respectivement
à dix et huit ans de prison pour « intelligence avec une
puissance étrangère ». Béatrice Halégua, l’assistante du patron de
l’ERAP, écopera, quant à elle, de « cinq ans de prison avec sursis
», le tribunal ayant considéré qu’elle était de « bonne foi » et
qu’elle fut tout simplement abusée par son amant-espion dont
elle était éperdument amoureuse. Les deux hommes de la Sécurité
militaire algérienne effectueront un séjour de deux ans de
détention avant d’être discrètement échangés contre cinq agents
du SDECE arrêtés, en Algérie, pour les mêmes motifs.